Voyage en Afrique et le danger des stéréotypes

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07.06.2018

Depuis mon arrivée à Madagascar, il n’y a qu’une pensée obsessionnelle dans ma tête: “Ne sois pas aussi blanc que tous les blancs qui font un voyage en Afrique.”

Avant même d’arriver, j’ai essayé de me plonger dans l’univers du volontariat, du tourisme, de la vie d’un étranger qui habite et voyage en Afrique. J’ai notamment regardé plusieurs photos et histoires concernant tout cela sur Instagram. Je me suis alors confronté à un contenu qui répète toujours le même schéma. Un blanc qui prend des photos d’enfants (AVEC les enfants c’est plus fréquent, je pense que ça doit donner plus de likes), toujours avec les mêmes légendes, racontant les mêmes histoires:

  • tristes qu’ils ont vécues OU
  • qui soulignent que malgré les difficultés, ils sourient toujours OU
  • qui relatent comment leur intervention en tant que professeur, éducateur ou même juste visiteur, fait du bien aux petits.

Il y a également la photo avec la communauté locale. Toujours soulignant la joie et l’accueil qu’ils ont ressenti, et la « façon dont les gens tiennent à partager le peu qu’ils ont ». Une autre catégorie: les aspects exotiques, pittoresques, sauvages, une araignée géante dans les toilettes, le safari classique. Pas toujours, mais j’ai vu à plusieurs reprises: mettre en évidence la corruption, le manque de respect pour la nature, la pauvreté, et tout cela presque inévitablement suivi de jugements…

Je ne veux pas dire que ces images sont fausses, ou qu’elles ne sont pas la réalité. Je ne doute pas que les enfants dans les pays les plus divers d’Afrique soient joyeux. Ou que les populations locales soient accueillantes et vivantes, qu’il y ait une faune riche, qu’il y ait des problèmes.

Mais je veux proposer une réflexion: n’y a-t-il pas d’enfants souriants en Europe? N’y a-t-il pas de problèmes administratifs et bureaucratiques en Amérique du Nord? Notre regard ne serait-il pas conditionné, en voyant (par conséquent, en documentant) toujours les mêmes paysages et images de l’Afrique et des pays les plus pauvres? De même pour les pays les plus riches?

Nous sommes parmi les gens qui ont la possibilité de voyager. En effet, selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, la France est parmi ceux qui dépensent le plus à l’extérieur. Donc, je pense qu’il est de notre devoir de nous poser des questions sur la façon de présenter chacun des lieux que nous connaissons. Aussi, savoir comment nous contribuons à maintenir les stéréotypes. Car oui, les stéréotypes sont extrêmement mauvais dans ce cas.

Voyage en Afrique: Palais de la reine Ranavalona III à Madagascar
Palais du roi Louis XIV ou de la reine Ranavalona III?

Voyage en Afrique: Palais de la reine Ranavalona III à Madagascar
Europe ou Afrique?

Une histoire unique

Je vais laisser ici les mots de Chimamanda Ngozi Adichie à ce sujet. Cette femme merveilleuse a fait dans un TED Talks un discours qui guide toute mon expérience ici à Madagascar:

“C’est comme ça que l’on fabrique l’histoire unique, présenter un peuple entier comme une entité, comme une unique entité, encore et encore, et c’est ce qu’ils finissent par devenir. Il est impossible de parler de l’histoire unique sans évoquer le pouvoir. Il y a un mot, un mot en Igbo, qui me vient en tête chaque fois que je pense aux structures au pouvoir dans le monde, et c’est « nkali ». C’est un substantif qui se traduit à peu près en « être plus grand qu’un autre ». Tout comme nos univers économiques et politiques, les histoires aussi sont définies par le principe de nkali. Comment elles sont narrées, qui les raconte, le moment où elles sont racontées, combien on en raconte, tout cela dépend vraiment du pouvoir.”

“Avoir ce pouvoir, c’est être capable non seulement de raconter l’histoire d’une autre personne, mais d’en faire l’histoire définitive de cette personne. Le poète palestinien Mourid Barghouti écrit que si l’on veut déposséder un peuple, la façon la plus simple est de raconter leur histoire, en commençant par le « deuxièmement ». Commencez l’histoire par les flèches des Américains natifs, et non par l’arrivée des Anglais, et vous obtiendrez une histoire complètement différente. Commencez l’histoire par l’échec de tel Etat africain, et non par la création coloniale de cet Etat africain, et vous obtiendrez une histoire complètement différente. »

Encore:

“J’ai toujours senti qu’il est impossible d’aborder correctement un lieu ou une personne sans aborder toutes les histoires de ce lieu ou de cette personne. La conséquence de l’histoire unique est celle-ci : elle vole leur dignité aux gens. Elle nous empêche de nous considérer égaux en tant qu’humain. Elle met l’accent sur nos différences plutôt que sur nos ressemblances. »

Regardez la vidéo:

Et le voyage en Afrique

Dernier exemple pratique et réel. Quand mon mari et moi, végétariens, avons décidé de vivre à Mada, nous entendions des choses comme:

« Impossible d’être végétarien là-bas »

« La nourriture sera mauvaise »

« Il n’y a pas de nourriture là-bas »

Pourquoi les gens ont-ils dit ça? Parce qu’ils ont une image unique de ce qu’est l’Afrique. Un continent immense avec de nombreux pays, cultures et réalités différentes. La vérité est que nous allons très bien, merci. Beaucoup mieux que nous n’avons jamais été en France ou au Brésil. La nourriture ici est sans pesticides, tout est bio, et tout est bon marché. Ce qui est cher, c’est la nourriture industrialisée, qui est importée.

Voyage en Afrique: Achats effectués sur le marché de Madagascar
Résultat du marché, tout acheté avec moins de 10 euros

Voyage en Afrique: Vendeuse sur le marché de rue à Madagascar
Tout vert <3

Voyage en Afrique: Vendeur sur le marché de rue à Madagascar
Les vendeurs de nourriture dans la rue, quelque chose que nous voyons fréquemment ici

Nous avons l’opportunité de financer un voyage, avons accès à internet et à plusieurs sources d’information. Nous avons également de l’influence au sein de nos familles et parmi nos amis. C’est donc nous qui devons commencer le changement. Dans nos prochains voyages, allons-nous raconter de nouvelles histoires? Être moins superficiels? Essayer de nous plonger davantage dans la culture locale et comprendre leur mode de vie? Pourquoi pas aussi changer notre photo cliché afin de montrer davantage nos ressemblances plutôt que nos différences? 🙂

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